Joel Benguigui

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Publié le 28. novembre 2017 avec Leica M

Après plusieurs années loin de sa famille biologique, le photographe Joel Benguigui s'est mis en quête de la retrouver. Au coeur de l'Indonésie, vivez avec lui leurs émouvantes retrouvailles...

 

Nous sommes arrivés à Larantuka au milieu de la nuit. Grand-mère Lala s’est réveillée pour nous ouvrir la porte.

Après une tournée de café et quelques snacks, nous nous couchons enfin. Je me réveille, le lendemain matin, la maison pleine de tantes et d’oncles qui sont venus pour moi, et partager un premier repas.

Lala est assise là, silencieuse, souriante, et quelque part, je ressens cet étonnement de me voir ici, dans sa maison, croulant sous les embrassades, les questions et les plats maisons que tout le monde a apportés.

 

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J’ai été adopté par Gislaine Benhamou et Lucien Benguigui en 1978. Je suis né dans une famille catholique pratiquante, au sein de la plus grande nation musulmane, et j’ai été élevé dans le judaïsme par des parents nés au Maroc, d’origines espagnoles et britanniques.

Ma famille biologique est très active dans leur communauté, et tous les dimanches commencent par la messe dominicale. Moi, je célébrais Kippour, Hanukkah ou Shabbat, dans une famille très libérale.

Enfant, je n’avais pas conscience de la signification de grandir avec un tel mix culturel, et c’est seulement très récemment que je peux voir un peu plus clairement les différentes couches et combinaisons, et leur impact sur ma vie, et ce sentiment perpétuel de ne pas être à ma place.

 

 

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Je pense que mon histoire et ma vie en Europe les a bien surpris. 

Ma soeur à Paris a également été adoptée, en Colombie, en 1981. Mon frère est né de l’union de mon père et de ma belle-mère, en 1998. 

Mon frère et ma soeur biologiques sont nés dans une famille qui compte pas moins de 14 oncles et tantes que je les ai presque tous rencontrés à Florès. 

Presque tous étaient très surpris quand je leur annonçais que je n’étais pas marié et que je n’avais pas d’enfants, alors que mon frère l’était déjà un peu après ses vingt ans, et qu’il avait 3 merveilleux enfants.

 

 

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Quelques jours passés à Larantuka, et quasiment pas un moment seul dans la maison. 

Une maison très modeste, faite de briques et de ciment, un sol en terre battue, et une cuisine qui ressemble plus à un placard où l’on range les tupperwares. 

Les premiers jours n’ont pas été faciles, mais prendre ce virage était tellement libérateur. Finalement repousser mes limites, me regarder dans le miroir, faire le point sur ma vie, et voir ce qu’elle aurait pu être si Maria ne m’avait pas fait adopter par manque de ressources. 

 

 

 

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Communiquer avec Maria n’était pas facile, et mon frère m’aidait, traduisant questions et réponses du mieux qu’il pouvait.

Quand je n’étais pas plongé dans une discussion, j’en profitais pour prendre quelques clichés de Maria.

Quand je regarde ces photos, cela me rappelle ce mélange de joie et de grande tristesse dans ses yeux. À plusieurs reprises, je pouvais sentir comme un sentiment de honte. Honte de qui elle était, me regardant en train de capturer sa vie et son monde en images.

 

 

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Ce jour-là, il n’y avait aucune raison particulière pour rendre hommage aux défunts, mais ma cousine Cece voulait que je rencontre mon grand-père, ainsi que son père.

Nous avons apporté quelques bouteilles d’eau pour nettoyer leurs tombes, des fleurs, et chaque membre a déposé une petite pierre et allumé une bougie, avant que nous priions tous ensemble.

Tous étaient vraiment heureux que j’accepte de les accompagner au cimetière, au pied du volcan Ili Mandiri.

 

 

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Il y a 38 ans, je quittais Bali avec ma mère, venue de paris pour m’adopter. Elle aura passé quelques mois sur l’île. 

Elle et Maria étaient devenues amies. Une amitié qui s’effaça avec le temps. 

Je montrais des vieilles photos de moi dans les bras de ma mère, et la famille se souvenait de Maria. 

Quand elle était jeune et insouciante. 

Elle n’a presque pas changé, mais elle est devenue mère, et ne m’a jamais oublié.

 

 

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Andi m’a dit qu’il n’y a pas un un seul jour sans que Maria ait prié pour me rencontrer, ne serait-ce qu’une seule fois avant de mourir et je suis là enfin.

Ses prières ont été exaucées et elle peut finalement me prendre dans ses bras. Elle m’assoit sur ses genoux, et oncles et tantes sont là pour célébrer ma venue.

Larmes, embrayage et des yeux souriants.

 

 

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Maria vit avec sa mère à Larantuka.

Elle est employée agricole. Elle travaille pour rapporter de quoi manger, et quasiment pas de salaire. Tout juste de quoi offrir un cadre de vie décent pour Clarita.

Elle ne parle jamais du père d’anti et de Lynda.

Heureusement, la communauté et la famille lui apportent un peu d’aide en lui apportant souvent de quoi manger.

 

 

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Après des heures passées sur la seule route ralliant l’est à l’ouest de Florès, je m’arrête à Paga, où mon frère, Bernadette et les enfants vivent.

Pour moi, être ici signifie bien plus qu’être le simple témoin de leur quotidien.

Andi me présente la plupart de ses amis. Chaque visite se transforme en pause café, ou pause déjeuner ou dîner et je suis plus qu’heureux de leur parler de ma vie à Paris.

Tellement d’amour et de joie tout autour de moi.

 

 

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J’ai eu une enfance privilégiée en Europe.

Une famille pleine d’amour, quelques très bons amis. Après collège et lycée, j’obtiens un master en finance.

Mon frère fait ce qu’il peut avec ce qu’il a. il quitte l’école très tôt pour aider ma mère à joindre les deux bouts, à survivre, et finalement, il fonde sa propre famille.

Et pourtant, j’ai tellement à apprendre de lui, et ça commence par respect et humilité.

Apprécier chaque moment. Être avec lui, ça a été comme un électrochoc, qui m’a poussé à me questionner.

Tout avoir et vivre ma vie avec le sentiment profond que quelque chose manque. N’avoir presque rien, juste les gens qui lui sont chers, et n’avoir besoin de rien d’autre.

 

 

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Retrouvez la suite du récit de Joel Benguigui la semaine prochaine.

Biographie – Joel Benguigui

Originaire de florès, né à Denpasar, Joel Benguigui a grandi à paris. Il raconte des histoires en image, naviguant entre les mondes de la mode, du documentaire et des arts.

Joel collabore avec Hannah Frank Dusar sous le nom d’Hannah & Joel, leur regard, plein d’émotion, a été sollicité par des acteurs majeurs de l’industrie, tels que Condé Nast France, Lancôme ou encore Zadig & Voltaire. Ils sont basés à Anvers, et représentés par INITIALS L.A.

Leur travail inclus séries éditoriales et projets documentaires, et notamment publiés par Women’s world - Lufthansa, Dazed Digital, Neon magazine ou encore Intro magazine.

Il pose un regard intime et plein d’humanisme sur celles et ceux qu’il photographie. Les images qu’il capture sont le témoin de leur vie, et leur donnent une voix.

 

Retrouvez Joel Benguigui sur :

- son site
- son Instagram

 

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